Fédération Alsace bilingue – Verband zweisprachiges Elsass
Colmar, 22 mars 2018
Contribution de la fédération à l’élaboration de la nouvelle convention opérationnelle portant sur la politique régionale plurilingue dans le système éducatif en Alsace
Des grands principes
Forte de ses seize associations membres et des quelque 6000 personnes qu’elles fédèrent, la fédération Alsace bilingue tient à rappeler à l’occasion de l’élaboration de la nouvelle convention opérationnelle qu’elle tient :
- à l’enseignement bilingue paritaire français-allemand (standard), deux langues enseignées et d’enseignement, tel qu’il se développe en Alsace depuis les années 1990,
- à ce que cet enseignement respecte les principes de précocité (début à 3 ans), d’intensité (au minimum 50 % de l’horaire hebdomadaire pour la langue seconde), de continuité (de la petite section de la maternelle au lycée), d’un maître-une langue, si possible d’un native speaker, de valorisation et d’interculturalité, et continue à se développer pour passer de 16 % à 50 % dans les dix ans à venir,
- à ce que l’on passe d’une politique de la demande, à une politique de l’offre d’enseignement bilingue,
- à ce que l’on expérimente, favorise et encourage l’enseignement immersif en langue seconde en classes maternelles, mais toujours le choix doit être laissé aux parents (standard ou dialecte ou les deux) et toute initiative allant dans ce sens doit être soutenue,
- à ce que l’allemand dialectal d’Alsace (alémanique et francique) soit intégré pleinement dans l’ensemble du système éducatif alsacien, notamment en option dans la filière bilingue existante ou en LCR (Langue et Culture Régionale). Tout doit être entrepris pour que les dialectes retrouvent leur place dans la société alsacienne, l’allemand standard aussi d’ailleurs, notamment à l’école d’Alsace. Ce qui suppose une action de revalorisation et d’encouragement, et une pratique au quotidien de la part des instances politiques et éducatives.
Si nous voulons que la langue régionale, l’allemand, sous sa forme standard et sous ses formes dialectales, soit intégrée pleinement, nous ne saurions accepter qu’un enseignement bilingue paritaire français-alsacien soit mis en place en remplacement de celui existant, à savoir le français-allemand (standard). Si les dialectes doivent trouver leur place dans le système scolaire en Alsace, ils ne doivent pas se substituer au standard. Quand il y a des enseignants capables d’enseigner en dialecte alsacien, il faut alors ouvrir cette possibilité en maternelle (bilingue français-alsacien ou bilingue français-alsacien et allemand ou immersif), en tant qu’option, mais à partir du CP il faut revenir à la pédagogie mise en œuvre dans la filière français-allemand (cf. principes ci-dessus), comme en Suisse ou au Luxembourg, pays à forte dialectophonie, tout en conservant, si possible, une place au dialecte à l’oralité de l’ordre de 10 %.
À proximité de la frontière, il s’agit d’obtenir la mise en place d’un statut d’écoles « transfrontalières » caractérisées par un échange de service d’enseignants français et allemands : les enseignants français assurent la moitié de leur service dans des écoles allemandes voisines et inversement pour les enseignants allemands. De la sorte, la moitié du temps scolaire est réalisé dans ces écoles transfrontalières dans la langue du voisin. L’engagement de l’éducation nationale consisterait à proposer cette formule au côté allemand. Les collectivités territoriales participeraient aux frais de transport des enseignants. Les enseignants allemands continueraient à être payés par l’Allemagne et les enseignants français par la France.
Concernant la mise en valeur des ressources dialectales, il s’agit d’obtenir :
- que l’éducation nationale prenne l’engagement de réaliser une enquête sur les personnels enseignants qui s’estiment maîtriser le dialecte et qui seraient volontaires pour l’utiliser dans le cadre scolaire,
- la création d’un service d’évaluation et de formation à l’enseignement dialectophone : les enseignants volontaires y seraient évalués et pourraient recevoir une formation complémentaire pour l’utilisation du dialecte (qualité des connaissances dialectales ; didactique). L’éducation nationale s’engagerait à participer à la gestion de ce service et à offrir les dispenses de service nécessaires aux enseignants intéressés. Les collectivités territoriales contribueraient au financement du service,
- un recensement des personnels dialectophones parmi les 7000 instituteurs et 2500 assistantes maternelles de l’Académie de Strasbourg.
La convention doit aussi avoir le souci de l’amélioration de l’environnement des classes bilingues :
- affichage bilingue dans les écoles bilingues,
- mise en œuvre systématique d’activités périscolaires en langue régionale dans les écoles bilingues ; les collectivités territoriales s’engageraient à fournir de telles activités,
- contact systématique avec les théâtres alsaciens et leurs écoles,
- amélioration de l’accueil de personnes extérieures à l’établissement scolaire qui peuvent assurer une animation en dialecte,
- fourniture de documentation allemande dans les écoles bilingues (CDI etc.),
- mise à disposition de revues, livres scolaires, DVD, etc.,
- obligation pour chaque école bilingue de développer un partenariat avec une école germanophone,
- fourniture dans les écoles bilingues d’information sur les séjours de vacances possibles pour les enfants dans les pays germanophones ; le cas échéant adaptation du calendrier scolaire pour faciliter ces séjours,
- inscription du projet bilingue dans tous les projets d’établissement des écoles bilingues,
- organisation de cours d’allemand pour les parents non germanophones qui le souhaitent afin qu’ils puissent comprendre et suivre le travail de leurs enfants.
- Il s’agit aussi que la convention propose durant la durée de son application l’ouverture d’au moins 10 sites immersifs.
La convention doit aussi exiger la mise au point d’une « organisation » indépendante d’évaluation du système d’enseignement dans la langue régionale (capacité des enseignants, niveau des élèves, outils pédagogiques, environnement, etc.). Cette « organisation » serait appelée à faire des propositions d’amélioration.
Concernant le suivi et mise en œuvre de la convention, il s’agit d’obtenir
- la création d’une instance de médiation et de « recours » pour toutes les personnes qui rencontrent des difficultés dans la création et le fonctionnement d’un site bilingue,
- que le suivi de la convention soit confié à une structure unique, disposant de toutes les compétences nécessaires, et étant directement responsable,
- une meilleure intégration des associations des parents d’élèves et de la fédération Alsace bilingue dans le suivi de la convention.
Par ailleurs, une nouvelle instruction sur le dialecte à l’école doit intervenir. Il subsiste de nombreuses difficultés quand des enseignants ou des interlocuteurs extérieurs veulent utiliser le dialecte à l’école. Une circulaire rectorale doit clairement autoriser et même encourager l’utilisation du dialecte à l’oral.
Enfin, la fédération Alsace bilingue demande que la nouvelle convention fasse expressément référence dans sa dénomination à « l’allemand – langue régionale ». Appelons un chat un chat !
Du corps enseignant
Pour ce qui concerne les enseignants, on constate un manque significatif d’enseignants présentant les compétences requises, ce qui freine le développement de l’enseignement bilingue paritaire et rend souvent fictif l’enseignement extensif de 3 heures.
Nous faisons valoir que si cette situation comporte de nombreuses causes et implique des interventions à de multiples niveaux, une des difficultés tient au fait que l’offre de formation proposée par l’université n’est pas suffisamment appropriée. Nous proposons donc aux universités d’Alsace de rechercher quels aménagements pourraient être envisagés sur le plan de l’université pour apporter une contribution à l’amélioration de cette situation. Nous proposons notamment de concevoir une formation spécifique pour les futurs enseignants en langue allemande dans les classes bilingues, débutant dès la 1re année d’université, et faisant une place à la formation à l’enseignement de diverses disciplines en allemand. Cela ne saurait se faire sans une bonne communication et sans une incitation, notamment financière.
Ainsi, concernant le recours aux enseignants allemands, il s’agit pour les négociateurs d’obtenir des autorités académiques :
- la reconnaissance des diplômes allemands (c’est une obligation du droit de l’Union Européenne) et par conséquent l’emploi de ces enseignants doit se faire dans des conditions juridiques et financières équivalentes aux enseignants français (au minimum un contrat à durée indéterminée avec une rémunération au moins équivalente aux enseignants français),
- le recrutement à partir du mois de juillet des enseignants allemands et l’organisation d’une formation spécifique durant les mois de juillet et août pour les préparer au caractère spécifique de l’enseignement en langue régionale en Alsace,
- un programme de recrutement dans les Länder de l’Est de l’Allemagne (ou il y a encore des demandes d’emploi) avec une offre d’emploi pluriannuelle garantie et des facilités d’installation en Alsace. Les collectivités territoriales pourraient prendre en charge le financement de l’organisme allemand qui sera chargé de la recherche de candidats potentiels.
Concernant l’orientation et la formation d’étudiants vers le professorat en langue régionale, il s’agit d’obtenir :
- la mise au point d’une offre spécifique de contrat à l’intention des étudiants de 1ere année ou de 2e année d’université,
- qu’ils reçoivent une bourse et une garantie d’être engagés en Alsace, en contrepartie d’un engagement comportant les éléments suivants : l’obligation de suivre une formation renforcée en allemand ; outre les enseignements fléchés qu’ils seront tenus de suivre à l’université, ils seront également obligés de suivre les cours dans un « centre de formation complémentaire » dans lesquels, ils recevront les formations manquantes à l’université (par exemple l’enseignement des maths en allemand) ; l’obligation en cas de réussite aux concours de servir dans des classes bilingues au moins 10 ans. Le ministère devra accorder une dérogation aux règles d’affectation nationale durant la durée de l’engagement et l’académie devra contribuer à la gestion de centre de formation spécial,
- la création d’une bourse spécifique pour les étudiants qui partent à l’étranger pour une formation d’enseignement en allemand,
- le renforcement de la prime attribuée aux enseignants en allemand.
Concernant les enseignants en place, il s’agit d’obtenir que ceux qui veulent se perfectionner en allemand (ou dialecte) doivent pouvoir obtenir un détachement d’un à deux ans dans des structures de formation d’enseignants en Allemagne, Suisse ou Autriche. À la fin du détachement, ils ont l’obligation de servir dans une classe bilingue pour au moins 5 ans.
De la place de l’histoire et de la culture d’Alsace à l’école d’Alsace
Pour un ancrage régional de l’enseignement de l’histoire
L’enseignement de l’histoire doit s’ouvrir à la dimension culturelle, régionale/transfrontalière. Il s’agit notamment de prendre en compte la diversité des vécus de l’histoire qui permettent à toutes les mémoires occultées de s’inscrire dans une perspective régionale et transfrontière. Certes, l’académie de Strasbourg ne peut pas modifier les programmes nationaux, mais elle a la possibilité de les ajuster aux spécificités régionales, comme elle l’a fait par exemple dans des manuels récents d’histoire. Cet « aménagement des programmes », qui n’a jamais fait l’objet d’un travail d’ensemble, doit à présent être mené à terme, puis appliqué.
Langue et culture régionales (LCR)
L’option LCR (enseignement de l’histoire et de la culture régionales), organisée dans les collèges et les lycées ne touchait qu’un nombre limité d’élèves (environ 5000 élèves la suivent, 1200 la présente au bac). L’option en tant que telle a été supprimée. Il y a lieu de recréer un champ propre à cet enseignement et de le généraliser à l’ensemble de la population scolaire d’Alsace. La généralisation d’un tel enseignement à tous les élèves fréquentant l’école d’Alsace permettrait de contribuer fortement à la (re)-construction d’une identité alsacienne ouverte et plurielle. Cet enseignement doit être réalisé pour et à tous les niveaux de la scolarité. Il existe à cet égard un véritable trésor au CANOPE (CRDP) constitué par l’opération « Vivre en Alsace » (années 70 et 80), il devra être remis à jour et diffusé. Beaucoup d’autres documents y sont d’ores et déjà à disposition (trop souvent inutilisés, car souvent non didactisés ou non connus). Une formation initiale et/ou continue devra préparer le corps enseignant à cet enseignement.
Il ne fait pas de doute que l’enseignement à toute la population scolaire de l’histoire et de la culture, tel que celles-ci se sont construites et se construisent encore en Alsace, serait plus que profitable à ceux qui le reçoivent. En premier lieu, il apporterait sa contribution à un renforcement de l’identité culturelle propre, et donc à une meilleure approche de la différence culturelle. La perception des différentes cultures nécessite une conscience positive de soi-même. La reconnaissance obtenue, qui génère l’estime et le respect de soi, est un préalable à la reconnaissance de l’autre ainsi qu’à l’estime et au respect de l’autre. Qui ne connaît pas ce qui lui est propre ne peut pas reconnaître l’altérité et encore moins l’apprécier. Il importe que chacun puisse s’insérer au mieux dans les paysages culturels de son environnement, que soit créé du lien social et garanti ainsi le vivre ensemble.
De la gouvernance
En règle générale. Les progrès des enseignements régionaux se heurtent aujourd’hui à de nombreuses difficultés. Et l’Alsace est à la traîne en matière d’enseignement bilingue. Par exemple, 40% des enfants sont en classes bilingues au Pays basque. En Alsace, 16% ! Pour sortir de cette situation, il faut une politique globale, cohérente, et active de l’éducation bilingue :
- pour les futurs enseignants, une formation spécifique dès la 1re année d’université et une incitation financière à choisir cette carrière ainsi qu’une assistance efficace en matière d’outils pédagogiques,
- des mécanismes efficaces d’évaluation des formations, des statistiques claires sur les ressources disponibles et, au-dessus de tout, une direction déterminée et disposant d’une large compétence au niveau du territoire alsacien pour mener de manière transparente et responsable cette politique de l’enseignement de notre langue régionale.
Pour apporter une solution globale et pérenne au problème du bilinguisme en Alsace, il faut donner plus de compétences aux acteurs locaux et mieux réunir les responsabilités. C’est pourquoi, nous proposons la création par la loi, dans le cadre d’une « expérimentation », au niveau de l’Alsace, d’une « Haute Autorité décentralisée » spécialement dédiée à l’enseignement de la langue, de l’histoire et de la culture régionales, rassemblant les compétences de l’État et les contributions des collectivités territoriales, en concertation avec les représentants des parents, des enseignants et des associations travaillant à la promotion de la langue et de la culture régionales, et disposant de l’ensemble des pouvoirs nécessaires pour :
- planifier le développement de l’enseignement,
- organiser la formation,
- assurer le recrutement,
- développer les outils,
- décider de l’ouverture des enseignements et de l’affectation des enseignants,
- assurer le contrôle.
Cette haute autorité serait constituée d’un conseil regroupant les représentants de l’État, des collectivités territoriales, de représentants des enseignants, des parents d’élèves et des associations travaillant à la promotion de la langue et de la culture régionales.
Ce conseil disposerait d’un pouvoir de dérogation aux règles de droit commun (programmes, diplômes, etc.). Il pourrait organiser les formations appropriées. Il veillerait à la disposition des outils pédagogiques. Il aurait autorité sur les services académiques et disposerait d’un budget propre et des services appropriés.
Le directeur serait désigné conjointement par l’État et par les collectivités régionales et départementales participant au financement de cet enseignement.
Pierre Klein, président
Définition de la langue régionale adoptée par le conseil culturel d’Alsace
« La Langue Régionale d’Alsace est définie comme la langue allemande dans ses formes dialectales (communément appelées « l’alsacien » (ou « platt » en Moselle)) et dans sa forme standard (Hochdeutsch) », sans oublier les langues historiquement implantées en Alsace comme le welche, le yéniche, le manouche ou le yédisch-daïtsch. »
Définition de la langue et de la culture régionales par la fédération Alsace bilingue
« Au sens des associations membres, la langue régionale est l’allemand, à la fois sous la forme des dialectes alémaniques et franciques de la région et sous la forme de l’allemand standard.
La culture régionale est culture en Alsace. Elle trouve notamment son expression en français, en allemand standard ou en allemand dialectal. Elle est culture bilingue constituée des cultures française, allemande et proprement alsacienne. Elle est à la fois une et diverse.
En effet, si l’on veut bien considérer que l’allemand est alsacien, comme l’alsacien est allemand, alors non seulement Weckmann est culturellement Alsacien, mais aussi Goethe qui tient ici compagnie à Molière et à Voltaire. Ce faisant, la culture alsacienne ainsi considérée ouvre aux univers culturels français et allemand, et pas qu’à eux. En même temps, elle en vit et y contribue.
La culture est à la base de l’unité de l’Alsace, en même temps que son originalité la plus tangible. Elle se caractérise essentiellement par son intensité, sa profondeur et sa pluralité. Cette dernière trouve ses origines dans les apports successifs qui, aujourd’hui, se confondent de bien des façons pour former la culture alsacienne. Aussi, l’Alsace peut-elle être décrite comme une terre d’échange et de synthèse. Les choses cependant, n’ont pas été et ne sont pas toujours simples. Les ruptures et les affrontements politiques et nationalistes, l’érosion actuelle de pans entiers de la culture alsacienne et la perte de repères qui l’accompagne ne sont pas sans créer des interrogations, des doutes et des malaises. » Extraits des Statuts
Fédération Alsace bilingue-Verband zweisprachiges Elsass
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