Pierre KLEIN – Voilà une idée fortement colportée par une partie de la classe politique alsacienne. Certes, si l’identité n’est qu’un nom, comme sur la carte d’identité, alors effectivement, elle n’est en rien menacée. Si l’Alsace n’est qu’une notion géographique, cela demeurera. Si l’identité de l’Alsace se résume à la choucroute et aux maisons à colombages, elle ne sera en rien condamnée. Mais l’identité alsacienne ne saurait se résumer à cela, tant ses éléments identificatoires anciens ou actuels sont riches et variés.
Jamais, ils n’annoncent ce qu’ils entendent par identité alsacienne. Jamais ils ne lui donnent sens et orientation. Jamais ils ne justifient la prétendue non-menace.
Alors que pour nombre d’entre eux, ils s’étaient initialement opposés à la fusion de l’Alsace dans le Grand Est au nom justement d’une menace pour l’identité de l’Alsace. Retournement par légalisme ? Mais que vaut le légalisme, si la politique conduite n’est pas légitimée par le peuple des électeurs ?
Pour certains l’identité collective n’a pas besoin de collectivité. D’aucuns comparent la fusion du Grand Est avec celle du Bade-Wurtemberg (1) pour dire que le Pays de Bade n’a en rien disparu et que donc l’Alsace ne disparaîtra pas. Comparaison n’est pas raison. Entre le Pays de Bade et le Wurtemberg, il n’y a, à vrai dire, pas plus de différence qu’entre le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, c’est-à-dire peu de choses. D’autres encore traitent, pour faire peur dans les chaumières, les défenseurs de l’identité alsacienne d’identitaires, ce qui en creux veut dire agents du repli, nationalistes ou extrémistes de droite aux intentions douteuses et nauséabondes.
N’en déplaise à tout ce « beau » monde, ce qui manque le plus à l’Alsace, c’est l’identité alsacienne, à commencer par le partage d’une mémoire et d’une culture, un système symbolique produit et internalisé par la société alsacienne.
Si l’Alsace avait une identité forte, nous n’en serions pas à revendiquer pour elle une collectivité territoriale. Cela ferait longtemps qu’elle l’aurait et pourrait gérer en propre ses besoins et intérêts particuliers, ses potentialités aussi ! La déconstruction identitaire organisée de longue date permet aujourd’hui tous les alignements.
Et si l’identité alsacienne, c’est ce qui manque le plus, c’est parce que celles et ceux qui détiennent le pouvoir de faire, n’ont pas fait ce qu’il fallait faire, parce qu’ils n’ont même pas cherché à obtenir ce qu’il fallait obtenir, à savoir une vraie place, notamment à l’école et dans les médias publics, pour nos identités, qu’elles soient linguistiques, culturelles, historiques, géographiques et économiques, soit par ignorance, soit par complaisance ou encore en toute connaissance de cause pour satisfaire une idéologie, jacobine en l’occurrence.
L’école et les médias, qui socialisent et transmettent, sont les lieux privilégiés de la construction identitaire. Mais qu’a fait l’école, mais qu’ont fait les médias publics ? À vrai dire, aucun travail d’éducation au « régional » n’a été véritablement accompli.
L’identité alsacienne est une identité de France, mais la construction identitaire en France se fait au seul profit d’une identité unidimensionnelle faisant largement abstraction de la propre diversité française.
Tout ce qui constituerait une identité régionale, à savoir une histoire multiséculaire et continue établissant le lien entre les ancêtres fondateurs et le présent, une langue ou des langues, des héros, des monuments culturels, des monuments historiques, des lieux de mémoire, des traditions populaires, une géographie et une économie, ne sont pas dans le champ de la socialisation-transmission et de l’action publique. Le résultat peut se résumer pour l’Alsace, comme pour d’autres régions de France, en deux mots : aliénation et normalisation. Ce qui n’a pas eu lieu d’être n’est plus ou si peu, vraiment très peu ! Le bilinguisme et la culture bilingue ne sont-ils pas aujourd’hui un champ de ruines ?
En conclusion, c’est un peu culoté de venir nous dire que l’identité alsacienne n’est en rien menacée, que l’identité collective n’a pas besoin de collectivité et que les défenseurs de l’identité alsacienne ont de sombres desseins communautaristes.
Nous devenons Français en ce que nous faisons nôtre, ce que l’on nous présente de la France. Mais ce qui nous est présenté de la France relève bien moins d’une « francitude », ouverte et diverse, fondée sur une culture plurielle, que d’une francité repliée et fermée, définie, notamment depuis 1793/1794, par l’unicité de sa langue, de son histoire et de sa culture, c’est-à-dire comme un « national-communautarisme (2) », comme une ethnie (3). C’est du moins l’expérience de la nation française que font celles et ceux qui voient leur langue, leur culture et leur histoire dite régionales, leur altérité en somme, non reconnue, non promue (4).
Autrement dit, les tenants du système nous font une belle projection. Le communautarisme excluant, c’est les autres. Dans les cours de récréation, on appelle cela « C’est celui qui dit qui est ! ».
Or, la France, ce n’est pas cela. La nation française ne saurait reposer que sur des données objectives. La France, c’est d’abord la nation subjective, celle qui repose sur le sentiment d’appartenance et la volonté d’être et d’agir ensemble, celle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, moment oh combien fondateur de la nation française.
L’Alsace, qui voit ce qui se fait ailleurs, est bien placée pour appeler la France à une régénération de la République fondée sur l’acceptation de la pluralité et de la multipolarité, non pour elle-même, mais pour la démocratie, par impératif catégorique. Il reste aux Françaises et aux Français, et donc aussi aux Alsaciennes et aux Alsaciens, et en premier lieu leur classe politique, à intégrer l’idée que l’union s’enrichit de la diversité et à s’inscrire dans une démarche de rénovation d’un système né de la centralisation monarchique et du raidissement révolutionnaire.
(1) Déjà les noms de Bade et de Wurtemberg n’ont pas disparu, alors que Grand Est le fait, notamment pour le nom Alsace.
(2) Une forme de communautarisme, qui même s’il est légal et légitimé, n’en est pas moins un. Comment appeler autrement une conception qui revient à ethniciser la nation et à ostraciser l’altérité. N’a-t-il pas été dit que la France « connaissait, mais ne reconnaissait » pas les langues et cultures dites régionales.
(3) Même si cet état de fait est un habitus français, il ne saurait être justifié indéfiniment au regard des droits de l’homme, parce que justement à l’égard de ces derniers, la France qui se revendique pays des droits de l’homme, l’est en fait de celui des droits de l’homme moins un, le droit à l’altérité.
(4) Ah l’obsession française de l’uniformité linguistique comme fondement essentiel de la nation. N’y a-t-il pas derrière cela un certain nationalisme excluant, parce que la diversité n’est pas reconnue ? Au fait, est-ce la langue qui fait la nation. Qu’est-ce qui distingue un germanophone d’un francophone. La langue me direz-vous. Mais qu’est-ce qui distingue un francophone suisse d’un francophone français. Qu’est-ce qui fait de l’un un Suisse et de l’autre un Français ? Ce n’est pas la langue, pour le moins pas la langue à elle seule. La langue confère une identité linguistique. Ce qui de l’un un Suisse et de l’autre un Français, c’est la culture, politique notamment. La langue fédère-t-elle véritablement les citoyens. Ceux qui pour les uns étaient de 1940 à 1944 dans la collaboration et pour les autres dans la résistance, parlaient la même langue, mais n’étaient pas unis sur l’essentiel, loin de là. La Suisse nous donne un bel exemple d’un pays multilingue uni dans la diversité. C’est donc possible, mais à ne pas vouloir en faire la pédagogie, on n’y arrivera pas ! Que le français soit la langue commune, n’est-ce pas chose communément admise. Pourquoi serait-il la langue unique. En vertu de quel principe ? Quel est le non-dit ?
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