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La substance de l’Alsace et ses formes brisées (suite)

30 novembre 2017 par administrateur 1 commentaire

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Jean-Paul Sorg – Par substance, nous entendons ce qui se maintient et dure à travers les changements, les accidents et événements de l’histoire qui l’affectent. C’est une énergie, une sorte de libido, un vouloir-vivre. Chaque être cherche à persévérer dans son être et à s’y développer. Toute substance tend naturellement vers une forme adéquate qui favorise son accomplissement. Elle souffre de ne pas l’atteindre. Malaise, maladie. Il arrive un temps où dépouillée d’une forme héritée et empêchée de s’en donner une nouvelle, « interdite de forme », la substance se décompose jusqu’à se dissoudre, se fondre dans autre chose et dépérir.

Substance un temps sans forme. Forme un temps sans beaucoup de substance. Ce sont des états limites. Comme l’histoire de l’Alsace en montre. Longtemps, en effet, « l’Alsace » (mettons les guillemets) a existé comme « chose » sans avoir de nom public et sans jouir d’institutions particulières, sans posséder une identité politique propre.

Province allemande du royaume de France

Après l’annexion de ses territoires par le roi de France, suite aux traités de Westphalie conclus en septembre 1648, puis à la capitulation de Strasbourg en 1681, l’Alsace a commencé par exister d’un seul tenant comme une province administrée par un Intendant, sorte de gouverneur colonial. Un Conseil Souverain d’Alsace, à compétence juridique, est créé en 1657 et s’installe à Colmar en 1698. Il veille à l’ordre et à la soumission par application des lois du Royaume, mais il laisse un certain jeu aux traditions locales, évite expressément de heurter les « usages d’Alsace ».

Durant le 18e siècle l’Alsace, ainsi construite administrativement, est unifiée sous la domination établie du roi de France, son suzerain. Elle est « comprise » avec son coefficient d’altérité, « province à l’instar de l’étranger effectif », vue et reconnue dans son unité et respectée dans sa personnalité singulière, héritage de son passé au sein du Saint Empire romain germanique. Sa personnalité se manifeste et s’affirme « au niveau » de ses coutumes, dans ses costumes (Trachten), dans ce que les villes conservent de liberté municipale et dans des « Sociétés littéraires » qui promeuvent des ouvrages et des revues dans les deux langues et favorisent de fait l’essor de la culture française politiquement dominante.

Un art de la coexistence, que l’on peut qualifier d’humaniste, que l’on peut inscrire dans le courant de l’humanisme rhénan, caractérise – déjà – la province : simultaneum des cultes protestants et catholiques dans certaines conditions et simultaneum idéal des deux langues avec leur littérature. Une philosophie pacifique et libérale du « en même temps ». Intelligence de la vertu des compromis ou des conciliations.

Deux départements du Rhin

La révolution administrative de 1789 et 1790 entraîne la suppression du Conseil souverain et de l’Intendant, divise le pays en deux départements, Bas-Rhin et Haut-Rhin, et efface de la politique et de l’administration le nom d’Alsace.

Ce n’est qu’au bout d’une vingtaine d’années chaotiques, après les périodes de tourmente révolutionnaire, puis napoléonienne, qui à leur paroxysme avaient interdit la langue et les mœurs allemandes, « puisque le cœur des Alsaciens est français », ce n’est qu’après avoir enduré cette expérience de la disparition possible et de l’aliénation brutale qu’une conscience alsacienne s’est réveillée et a trouvé l’énergie et la liberté de s’exprimer. Ce sont sur les murs de Strasbourg assiégée (durant les blocus de 1814 et 1815 par les armées des coalisés) les Fraubasengespräche, ces feuilles qui exposent le point de vue des commères – des bourgeoises du peuple de Strasbourg – sur les événements et la misère des temps.

Dans les années de la Restauration qui suivent et qui signifient à la fois la fin des grandes illusions démocratiques et le retour à une vie civile normale, apparaît le premier mouvement littéraire proprement alsacien qui regroupe une poignée d’intellectuels : G. Daniel Arnold (1780-1829), Ehrenfried Stöber (1779-1835), Charlotte Engelhardt-Schweighaeuser (1781-1864), Georg Daniel Hirtz (1804-1893) plus tard et quelques autres. Premier temps – aube – d’une littérature alsacienne dialectale qui sous des airs assez conventionnels s’affirme et s’affiche comme telle, comme la démonstration d’une identité singulière, ni entièrement française ni allemande, mais française et allemande.

On fait résumer au notaire Ehrenfried Stöber cette position originale d’un Deutschfranzosentum, qu’il a fallu inventer, dans un quatrain :

Meine Leier ist deutsch, sie klingelt von deutschen Gesängen

Liebend den gallischen Hahn, treu ist französisch mein Schwert

Mag es über den Rhein und über den Wasgau ertönen:

Elsass heisset mein Land! Elsass dir pochet mein Herz!

La substance spirituelle de l’Alsace, qui a grossi et est parvenue à une conscience de soi, mais (encore) assez confuse, s’exprime timidement sur un mode littéraire qui demeure minoritaire et s’en satisfait ; elle commence par ailleurs à se manifester plus largement, en impliquant le peuple, sous l’aspect du folklore, dans l’esprit d’un romantisme qui devient un phénomène culturel européen. C’est l’œuvre de la génération des frères Stöber, Auguste (1808-1884) et Adolphe (1810-1892), de l’abbé Charles Braun (1820-1877). Ces poètes et historiens découvrent les trésors des contes et légendes de la région Alsace, partie comme telle de l’aire de la mythologie – ou de l’imaginaire – germanique.

En France, dans ses autres provinces, un travail semblable s’effectue, mais en direction d’un fond celte ou gaulois. À la culture classique, entretenue par l’humanisme, qui avait pour modèles et idéaux les œuvres et le savoir de l’antiquité grecque et latine, s’ajoute partout une culture romantique, qui puise sa substance dans les profondeurs sylvestres d’un passé autochtone plus ancien que l’antiquité méditerranéenne.

En ce 19e siècle d’une Alsace paisiblement française, qui s’étire de la monarchie restaurée jusqu’à la chute du Second Empire, la province allemande maintient sans grand problème ses usages et son… patois, ses parlers dialectaux et sa vocation de pays de l’entre-deux. Les plus doués de ses « enfants » vont étudier alternativement à Paris et à Munich ou à Heidelberg.

Durant cette période, trois quarts de siècle, l’Alsace n’est pas unifiée, n’est pas une et indivisible !, et n’existe pas « au niveau politique », n’a pas de forme politique qui lui soit propre et ne rêve absolument pas d’en avoir une, n’en conçoit pas même l’idée. Elle vote, mais par départements, élit régulièrement des conseillers généraux, qui appartiennent à des familles de notables (industriels, banquiers, barons, comtes et marquis).

Land

La guerre de 1870, l’annexion de l’Alsace au Reich allemand, comme gain de guerre, et l’exaspération des passions nationalistes qui s’ensuit vont complètement changer la donne. Jointe à la partie mosellane de la Lorraine, qui est germanophone, l’Alsace devient un Reichsland, un pays d’empire gouverné par un Oberpräsident, puis un Statthalter (sorte de gouverneur) qui représente l’empereur et possède les pleins pouvoirs. Le régime, d’abord dictatorial, né de la guerre, va évoluer peu à peu et se démocratiser (élections au Landtag) et se normaliser. Avec comme point de mire la constitution d’un Land jouissant d’un statut d’autonomie au sein d’un empire fédéral. En mai 1911, aboutissement d’une longue lutte politique, l’Alsace-Lorraine obtient une constitution qui fonde un Parlement élu au suffrage universel, qui vote toutes les lois et le budget.

De par son annexion et son intégration dans l’empire allemand, en des temps qui avaient pour idéal, pour norme, la démocratie et affirmaient comme naturel le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (esprit du temps, esprit de la civilisation), l’Alsace était devenue une question essentiellement, intrinsèquement, politique en Europe. Problèmes et solutions étaient politiques. Son existence donc était devenue pleinement politique. On a voulu l’oublier par la suite, ne plus le voir, on entendait des appels, des incantations : pour en finir avec la politique de l’Alsace, mais c’est qu’elle continue en réalité et qu’elle n’est pas finie. « La lutte continue. »

Départements

La guerre de 14-18 a en effet eu pour conséquence la réintégration de l’Alsace dans une France devenue république. Réintégration qui pouvait être conçue comme un retour à un état normal ou naturel. À partir de 1919, en régime français, l’Alsace à nouveau n’existait plus en tant que telle, dans son unité, dans sa cohésion territoriale, comme « territoire politique », elle existait « seulement » sous les espèces de deux départements du Rhin.

Mais si une autonomie, la liberté, a été obtenue et vécue une fois, même dans un état insatisfaisant et pour une courte durée, sa forme, son idée hante désormais les esprits et travaille la politique. La protestation autonomiste a pris les dimensions d’un mouvement populaire central pendant l’entre-deux-guerres. Des élus autonomistes ont siégé dans les conseils municipaux, les conseils généraux et à l’assemblée nationale.

Gau

Le nazisme, ce « jacobinisme brun », dissout l’entité Alsace en la fusionnant avec le Pays de Bade dans un grand Gau Oberrhein.

Départements

À la Libération de 1945, l’Alsace se retrouve dans ses deux départements comme devant. Vingt ans après, peu à peu, un nouveau mouvement régionaliste et un front de protestation culturelle se constituent, qui revendiquent un organe de représentation démocratique, des possibilités d’autogestion, des « compétences législatives », pour la mise en œuvre d’une politique linguistique qui sauvegarde l’usage de la langue allemande dans ses formes dialectales et sa forme écrite, condition de la sauvegarde et de la réactivation d’une identité, c’est-à-dire de l’existence même de l’Alsace. Une question existentielle. Une question ontologique.

Région

Les années 70 furent des années d’intense et turbulente créativité culturelle, poétique et politique. Le second – ou le troisième ! – grand moment de la littérature alsacienne dialectale. Le dernier ? Et cela se fit sans le support, les subventions et le secours d’institutions politiques appropriées. L’Alsace n’avait pas d’existence – ou de forme – politique unie, elle ne consistait toujours qu’en ses deux départements du Rhin, n° 67 et 68. Enfin, à la faveur de l’arrivée de la gauche au pouvoir, avec l’élection de François Mitterrand, une organisation régionale de la France fut pensée, décidée et instituée. 1982. L’Alsace et les 21 autres régions reconnues de France eurent le droit (et même le devoir !) de se donner une représentation politique propre, concrétisée dans un Conseil Régional.

Nommé recteur de l’Académie de Strasbourg en 1981, venu de « l’intérieur » de la France, mais comprenant par empathie « l’âme alsacienne », Pierre Deyon pouvait écrire qu’« enfin l’Alsace dispose maintenant des institutions qui lui garantissent la préservation de ses caractères propres ».

La réforme n’allait pas assez loin et n’accordait pas aux régions le pouvoir de s’occuper elles-mêmes de ce qui les concerne – en propre- et qu’elles aspirent à réaliser. Et l’avenir allait montrer que même le petit progrès démocratique que représentait une telle réforme était un acquis fragile qui pouvait être détruit « d’un trait de plume » par de nouvelles mesures administratives. C’est ce qui fut conçu en 2014, mis en œuvre et exécuté fin 2015. De nouveau l’Alsace se retrouve nue politiquement et plus vulnérable encore qu’elle n’était déjà.

Anéantie et destinée à renaître

Raisonnement d’une partie de « nos » élites qui main sur le cœur déclarent leur loyauté et leur foi en une Alsace éternelle, qui ne saurait rien perdre de sa substance dans cette opération purement administrative. Quoi qu’il lui arrive, l’Alsace conserve son identité comme une substance, suprahistorique, suprapolitique, à laquelle tous ses patriotes qui l’aiment peuvent sucer à loisir.

Ce que nous nommons, en métaphysiciens, la substance peut en effet exister et durer un temps, être active, réactive et créatrice, sans avoir de forme politique institutionnellement déterminée. Et si des formes existent, elles ne garantissent pas à elles seules, sans la volonté et l’intelligence des hommes au pouvoir, des actions soutenues et appropriées qui protègent et développent la substance. Les formes instituées peuvent rester ou devenir plus ou moins rapidement des coquilles vides. Et rien de ce qui devrait être fait et a été promis ne se fait.

Tout de même, il y a des situations, des phases de développement, des phases de maturité, dans l’histoire d’une substance, qui poussent à une forme politique de représentation démocratique, donc autonome, perçue comme légitime et nécessaire. Les temps sont venus ! Nous vivons une telle situation. Courage ! Espérance !

Croyons-nous à une évolution politique ou non ? Croyons-nous au progrès ou non ? Le sens de l’histoire se manifeste partout dans une conquête de l’autonomie des collectivités et des personnes à tous les niveaux, dans un accomplissement de la démocratie comme seul régime viable de la liberté.

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Catégorie(s) : Culture

Commentaires

  1. Pat.de.cdbc a écrit

    9 décembre 2017 à 9 h 31 min

    A mon avis l’alsace a laissé passer une chance historique en refusant la disparition des deux départements Bas Rhin et Haut Rhin , qui pourtant avait du sens. On peut maintenant pleurer d’être dissouts dans le Grand Est.
    Néanmoins on peut penser au basques qui sont dans une situation encore plus difficile, partagés entre deux états, et qui ont su garder une identité forte. et garder l’ espoir de conserver aussi une culture forte.

    Répondre

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