Vincent GOULET – Deux jours de rencontres transfrontalières ont réuni les 22 et 23 septembre derniers à Mulhouse une centaine de personnes et une quarantaine d’associations suisses, allemandes et alsaciennes. La volonté est là pour tenter de relever les défis sociaux, démocratiques et environnementaux du Dreyeckland. Mais pour travailler ensemble de manière durable, il faudra dépasser un certain nombre de fragilités et d’obstacles.
Jardins urbains partagés, lutte contre le chômage des + de 45 ans, transition environnementale et sociétale : les trois thèmes choisis par les organisateurs (1) cherchaient à baliser le terrain d’une coopération transfrontalière accrue au niveau de la société civile. Cette démarche « bottom-up » a reçu un bon soutien institutionnel (2), preuve que les élus et responsables régionaux sont eux aussi conscients de la nécessité de s’appuyer sur une dynamique citoyenne pour construire le Rhin supérieur.
Les jardins partagés ont le vent en poupe dans notre monde urbanisé qui s’interroge sur son rapport avec la nature. Les Bâlois sont très en pointe sur ce thème avec une cinquantaine d’initiatives recensées dans les deux cantons. Les Fribourgeois sont également très actifs, avec une trentaine de jardins urbains, tandis que les projets se développent plus laborieusement à Mulhouse. De nombreux contacts ont été noués durant ces deux jours, avec par exemple le projet de traduire en allemand un article sur l’industrie de la tomate publié par un webjournal français (3), l’organisation d’une prochaine « fondue trinationale des jardins partagés » en janvier et la mise en place de visites apprenantes régulières entre associations des trois pays.
On pourrait croire que le plein emploi à Bâle et en pays de Bade profite à tous. Il n’en est rien. Chez nos voisins aussi, les plus de 45 ans subissent une forme d’exclusion sociale par l’emploi. Qu’elles soient prospères ou en crise, nos sociétés de compétition effrénée marginaliseraient-elles ses citoyens une fois qu’ils ont passé la cinquantaine ? Si les synergies transfrontalières sont, sur ce point, plus difficiles à mettre en œuvre, il apparaît que la revendication pour une vraie place dans la société puisse aussi se mener au niveau trinational.
Troisième thème : comment changer de modèle économique et social ? ou la « Transition » dialogue avec la « Gemeinwohl-Ökonomie ». De part et d’autre du Rhin, le contexte est bien différent. Dans la vallée de Munster et à Mulhouse, le vide économique progresse, les friches industrielles offrent des espaces libres et si on veut changer la société, il faut s’auto-organiser et accroître ses capacités de résilience. À Freiburg, c’est plutôt le trop plein, beaucoup d’activités économiques et pas assez d’espace : pour changer la société, la rendre humaine et soutenable, il faut convaincre les acteurs de changer de modèle, rompre avec le capitalisme productiviste pour s’orienter vers le souci du bien commun. C’est possible en s’appuyant sur la culture germanique de l’intérêt collectif, mais là aussi le chemin est long. Le débat a été passionnant et les possibilités d’échanges nombreuses.
Les fragilités du monde associatif alsacien
L’organisation et le déroulement de ces deux jours de rencontre ont montré tous les possibles de la coopération transfrontalière associative mais aussi les obstacles structurels à celle-ci.
Curieusement, la barrière de la langue n’est pas le principal frein : beaucoup de Rhénans parlent peu ou prou la langue du voisin, il s’agit surtout de réactiver sa pratique, ce qui n’est pas difficile quand « la volonté de communiquer » est là. En revanche, mener un projet transfrontalier suppose de se rencontrer souvent, ce qui est parfois difficile avec le coût élevé (en argent et en temps) des déplacements ou encore le manque de transport public entre la France et l’Allemagne. Pour réussir, le tissu associatif doit pouvoir s’appuyer sur des Grenzgänger qui ont l’habitude de se jouer des frontières.
La fragilité des associations alsaciennes est aussi un véritable frein à l’investissement dans des projets transfrontaliers : trop peu d’adhérents actifs, trop peu de responsables ou de salariés en capacité de s’investir sur le long terme (phénomène accru par la fin brutale des contrats aidés), manque de moyens financiers pour se lancer dans une aventure qui demande du temps et de la trésorerie. La bonne santé financière et le professionnalisme de nos voisins suisses et allemands font parfois rêver… Là aussi, nous avons beaucoup à apprendre l’un de l’autre.
Fazit: la dimension rhénane et multiculturelle est un atout pour nos associations et la société civile alsacienne. En profiter demande cependant des moyens financiers et un fort investissement. Pour ce faire pouvoirs publics, élus et sociétés civiles des trois régions peuvent travailler étroitement ensemble et mobiliser utilement les moyens européens mis à disposition, comme le programme Interreg V et ses « microprojets ». Cela demande un peu de ténacité mais le jeu en vaut la chandelle : comme il était agréable d’entendre parler français et allemand à Mulhouse, avec tous les accents de notre Dreyeckland commun !
(1) Maison de la Citoyenneté Mondiale de Mulhouse, die Fabrik, Treffpunkt et Friga de Freiburg et Kontaktstelle für Arbeitslose de Bâle.
(2) Programme Interreg V Rhin supérieur (FEDER – Union européenne), Conseil départemental du Haut-Rhin, Mulhouse Alsace Agglomération, Fondation pour l’Entente Franco-Allemande, Ville de Freiburg.
(3) « Raconter le capitalisme à travers la tomate », à propos du livre de Jean-Baptiste Malet, L’Empire de l’or rouge. Enquête mondiale sur la tomate d’industrie, Fayard, 2017
http://cqfd-journal.org/Raconter-le-capitalisme-a-travers
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